La Boétie. Mémoire touchant l'édit de janvier 1562


Gallimard, Collection "Tel", 1993 : présentation et révision du texte. ISBN 2-07-073081-6

 

PRESENTATION

La place du Mémoire de 1562 que nous publions ici était marquée aussi distinctement que celle de la Servitude volontaire dans les Essais, au chapitre XXVIII du livre I, " De l'Amitié " :
" Mais il n'est demeuré de lui que ce discours, encore par rencontre, et croy qu'il ne le vit oncques depuis qu'il lui échappa, et quelques mémoires sur cet édit de Janvier, fameux par nos guerres civiles, qui trouveront encore ailleurs, peut-être, leur place. C'est tout ce que j'ai pu recouvrer de ses reliques, moi qu'il laissa d'une si amoureuse recommendation, la mort entre les dents, par son testament, héritier de sa bibliothèque [et] de ses papiers, outre le livret de ses œuvres que j'ai fait mettre en lumière ".

Mais ce texte, resté inédit, n'a pas connu le flot d'amis renaissant de l'ardent Discours. Il a fallu l'opiniâtreté de Paul Bonnefon, qui, tel Le Verrier, a maintenu la place vacante, pour que les hasards et les chances de la bibliographie lui offrent la planète absente, sous forme d'une copie manuscrite de la Bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence, reliée avec d'autres documents historiques du XVIe siècle (placets, contrat de mariage royal, projet de réforme de l'Université, etc).
Mais la planète dérangeait le système. L'inédit, publié d'abord dans la Revue d'histoire littéraire de la France, puis en volume chez Bossard en 1992, resta quasiment lettre morte, à l'exception d'extraits publiés par François Hincker dans les " Classiques du peuple ", jusqu'en 1982, où le Mémoire fit l'objet d'une édition savante par Malcom Smith chez Droz (à laquelle on se reportera pour ce qui concerne le contexte religieux et diplomatique), puis en 1991 avec l'édition des Œuvres complètes de La Boétie en deux volumes chez William Blake and Co.
Il faut que soit bien puissante l'hypnose hagiographique qui entoure les Castor et Pollux de nos humanités pour que ses rares lecteurs aient présenté comme un bréviaire de tolérance cette apologie d'un terrorisme d'Etat contrôlé. Et le silence des commentateurs, quand il n'est pas dû seulement aux inerties de l'érudition, lui rend à notre sens un plus juste tribut que ces interprétations prévenues.
Revenons aux faits, ou plutôt aux fortes probabilités, puisque le manuscrit, non signé, est visiblement de la main d'un secrétaire professionnel : majuscules ornées, boucles décoratives, justification régulière, mise en paragraphes très claire. Certains indices (" deux " pour " de ", corrigé ensuite, par exemple) feraient penser plutôt à une dictée orale. Le sous-titre " concernant ceux de la religion P.R. " [prétendue réformée] est d'une autre écriture qui, autant qu'on puisse risquer des inférences graphologiques sur quelques mots pourrait (sans plus) être celle de Montaigne, qui avait donc reçu le manuscrit en héritage, comme le signifie très juridiquement le passage des Essais cité plus haut. Comme le Contr'un, ce discours mélange hardiment l'abstraction et les images familières (" aboyer après la charogne "). Il correspond entièrement à la description de Montaigne, et il abonde en allusions aux évènements de Guyenne auxquels La Boétie s'était trouvé directement mêlé.

Nous sommes à la fin 1561, à la veille du déchaînement des guerres de religion (marqué conventionnellement par le massacre de Vassy, le premier mars 1563), après la première vague répressive qui suivit le succès de la Réforme en France. Avant sa mort accidentelle, Henri II avait choisi d'" extirper l'hérésie ", et de " purger son royaume de cette dangereuse peste et vermine ". La régente Catherine de Médicis, le petit roi Charles IX âgé de onze ans et ses conseillers, cherchent alors une autre voie. L'édit du 19 avril 1561 laissait provisoirement aux protestants l'usage intermittent des églises pour les prêches, offices et assemblées, c'est ce régime qu'on a appelé l'" interim ". En juillet 1561, la reine-mère convoque à Poissy un colloque de doctes des deux partis, qui débattent des grandes questions de dogme et de rituel qui les divisent, et divisent même les protestants entre eux, et les opposants aux anabaptistes en Allemagne et en Suisse : présence réelle ou symbolique du Christ dans le vin et le pain de la messe (le " dieu de pâte ", panaceo deo, disait le protestant Théodore de Bèze) ; culte des saints, culte des images et statues, forme et nature des sacrements, tous ces points litigieux que le Mémoire de La Boétie passe en revue seront repris à l'échelle de toute la chrétienté par le Concile de Trente qui recommence ses travaux en février 1562.


En Guyenne, les réformés forment une minorité importante, avec leurs chefs de guerre comme Piles et La Rivière que combat Monluc. A la cour, et malgré l'hostilité du parlement de Paris, la régente convoque pour élargir le Conseil privé du roi, deux représentants de chaque parlement, appelés à opiner dans l'assemblée qui se réunit à Saint-Germain-en-Laye du 3 au 17 janvier 1562 (1561 dans l'ancien calendrier, où l'année nouvelle commençait le 1er avril).
C'est évidemment pour cette occasion qu'a été composé notre texte, qui est grammaticalement et rhétoriquement un plaidoyer : locuteur à la première personne (" je cuyde ", " pour moi "), destinataire clairement désigné (" votre compagnie "). Grâce aux lettres de Théodore de Bèze, d'Hubert Languet, et, du côté catholique, du légat du Pape Santa-Croce, on sait assez précisément comment les choses se sont passées. Chaque représentant donne ses arguments avant que l'on passe à un véritable vote (" Cras incipient mitti in suffragia ", écrit de Bèze à Calvin le 6 janvier 1562, et Languet : " Fuerunt novem et quadraginta qui sententiam dixerunt "). Les Mémoires qui nous restent, outre celui de La Boétie, n'ont propablement pas été lus entièrement. On peut imaginer qu'ils servaient d'argumentaire pour l'orateur, et qu'ils circulaient comme un dossier dans l'assemblée, voire dans un cercle plus vaste, avec ou sans l'aveu de l'auteur, comme ce fut le cas du mémoire de Pasquier dont nous reparlerons (à moins qu'il n'ait prétendu que par précaution que la première édition lui avait été arrachée).
Là où les choses se brouillent, c'est sur l'hypothèse d'une présence effective à cette assemblée de La Boétie, jeune conseiller encore, mais expérimenté, distingué par sa mission de l'automne, reçu par Michel de l'Hospital l'année précédente. Selon Paul Bonnefon et Louis Desgraves, qui ne citent pas leurs sources, ce furent Lagebaston, le premier président, Arnaud de Ferron et le procureur de Lescure qui furent envoyés à Saint-Germain. Les deux premiers passaient pour favorable à la tolérance. La Boétie aurait-il rédigé ce discours pour quelqu'un d'autre ? Cela va mal avec le ton d'engagement personnel du discours. Ou faut-il supposer qu'il s'est préparé pour cette mission, auquel tout le désignait, mais qu'un autre a été choisi au dernier moment ? La réponse sur ce point donnerait évidemment un élément de plus pour l'attribution du Mémoire, mais elle permettrait en outre d'apprécier dans quelle mesure sa rhétorique a pu être infléchie par le contexte, et les accent pessimistes et répressifs renforcés pour faire contrepoids à l'optimisme dominant.


Car pour l'ouverture et la tolérance, le discours de La Boétie, s'il reste modéré comparé aux pamphlets de défense catholique comme le Discours de Ronsard sur les Misères de ce temps paraît bien en retrait sur la majorité des interventions à Saint-Germain. Dans une lettre à Calvin du 15 janvier 1562, Théodore de Bèze se réjouit d'apprendre que " sur 26 suffrages, 15 ont été pour nous accorder des temples, sept des lieux de cultes publics ou privés avec la permission du roi, les quatre restant ont voté contre nous ". Languet parle de 22 votants prêts à concéder des temples, 16 acceptant des assemblées, 11 partisans du statu quo, et analyse la manœuvre qui permet à ces onze de limiter la tendance au libéralisme en s'alliant avec les seize précédents. Enfin, le légat du pape Santa-Croce parle de 27 pour des temples dans les villes, 10 contre tous temples et 17 " entre les deux ". Finalement, l'édit (dont le texte est donné par Malcolm Smith dans son édition du Mémoire) prendra une position conforme à la majorité, en admettant temples et assemblées sous conditions et hors de l'enceinte des grandes villes, ce qui satisfera Théodore de Bèze, mais moins les autorités extérieures de la Réforme comme Calvin. La Boétie, qui refuse l'intérim et les temples se tient donc sur la position des quatre délégués les plus conservateurs, s'il n'a été l'un d'entre eux.

Il propose la réforme d'une église maintenue unitaire sur tous les points sensibles attaqués par les novateurs : vénalité, mœurs, prêches en langue vulgaire, réduction de la pompe et du cérémonial. Par là, et par le rôle élargi donné à l'autorité royale, il ne va pas dans le sens de Rome. Mais tout ce plan correctif, s'il importe beaucoup à l'histoire religieuse, n'est que le second volet d'une politique fondamentale de retour à l'ordre. Et comment ramener à l'ordre un peuple " accoutumé à la désobéissance " à travers la contestation religieuse, à la liberté qui est " la plus douce et la plus friande poison du monde " ? En lui faisant voir " la terrible face de la justice irritée ", par le moyen d'expéditions sur les lieux de tumultes, où les parlementaires - juges et la troupe jouaient chacun leur partie. Quand Burie et La Boétie se rendirent à Agen, à la fin de septembre 1561 pour une mission de ce genre, les sanctions ne dépassèrent pas le bannissement. Mais avec Monluc, en février 1562 à Saint-Mézard, ce furent des exécutions " sans sentence ni escritures " faites de si bon cœur que l'un des coups emporta " plus de demy-pied de la pierre de la croix " sur laquelle les meneurs furent dépêchés. Et Monluc commente : " Si tous eussent fait de même, ayant charge es provinces, on eust assoupy le feu qui a depuis bruslé tout ", dans la même veine que La Boétie : " On ne saurait croire de combien, après cette terreur, il [le peuple] sera plus traitable, plus facile à ranger, et plus aisé à contenter. "

Tout est raisonnable dans son programme de dressage et de réduction des excès, et fait songer à la formule de Camille Desmoulins : " Ce sont les despotes maladroits qui se servent des baïonnettes : l'art de la tyrannie est de faire la même chose avec des juges ". Mais rien qui prenne en compte l'exaltation, parfois la soif de martyr des novateurs décrite par les témoins, ni même la dynamique d'une foi qui, même pacifiquement, veut se produire et convaincre. Qu'est-il arrivé au grand psychologue du Contr'un ? A force de scruter la mince ligne qui sépare l'amour du censeur et son envers, l'élan de l'insoumission, a-t-il été gagné par un vertige de mépris ? Car l'ennemi dans le Mémoire, c'est explicitement le " gros populas ", le danger démocratique qui fermente sous les turbulences religieuses.

Toutes les couches sociales ont été touchées par la Réforme en France, avec des différences régionales : globalement, cela aurait peu de sens de la qualifier de mouvement populaire, et l'on sait que la plupart de ses chefs européens ont combattu les débordements antihiérarchiques et antimonarchiques, que Luther appela à exterminer les " chiens enragés ", la " horde criminelle et pillarde des paysans " de Thomas Muntzer. En Guyenne, Monluc se montre très vigilant sur la portée sociale des troubles. Deux tumultes symétriques inquiètent les pouvoirs à l'automne 1561. A Cahors, les catholiques au sortir de la messe massacrent les protestants. A Fumel, le 24 novembre 1561, les paysans massacrent dans son château leur seigneur catholique détesté. Burie souhaite intervenir d'abord à Cahors, Monluc voit le danger à Fumel, où " déjà commençait la guerre découverte contre la noblesse ". Le Mémoire de 1562 ne touche à la dimension sociale du conflit qu'en termes politiques, mais il prévoit que " si le roy n'y peut mettre de l'ordre, pour vrai l'ordre s'y mettra, mais c'est l'ordre qui viendra de la multitude et de sa belle police, qui sera tel comme il a toujours été accoutumé d'être, venant de telle main, c'est-à-dire la ruine entière et d'eux et de leurs maistres ". Enfin, le Mémoire refuse très nettement la laïcisation de l'Etat vers laquelle s'orienteront Bodin ou Hotman, et maintient la théorie du " bras séculier " que Calvin avait critiquée avant de s'y rallier, comme Théodore de Bèze lui-même : " son devoir [du Roi] est non pas seulement de faire vivre ses sujets en paix et tranquilité, mais encore principalement de prendre qu'ils marchent à droit chemin et puis qu'ils ne se détournent de la voie de leur salut… " Les instances que Michel de l'Hospital tendait à dissocier dans son discours d'ouverture, appelant à débattre " non de religione, sed de republica " se voient ici ressoudées en une étreinte qui ne laisse pas de place à une dissidence. Si le pluralisme chrétien est inconcevable, que dire alors d'autres religions, voire de l'incroyance !
Il est vrai qu'une fois ces piliers bien assurés, le Mémoire rejette l'inquisition des consciences, et recommande de " vaquer seulement à la punition des insolences, des voies de fait et forces publiques ". Son auteur, qui n'est pas possédé d'une passion intégriste, se montre prêt aux concessions sur les points secondaires : " N'en faisons point d'instance et ne combattons point contre les délicats pour chose qui n'est pas de conséquence. "

Mais les idées de tolérance et de pluralisme étaient-elles alors pensables ? N'employons pas à toutes fins l'alibi historique, l'argument de l'anachronisme justement démonté par Jacques Rancière, qui permettait à Lucien Febvre de décréter impossible l'incroyance de Rabelais. La meilleure preuve que ces idées étaient concevables, c'est qu'elles ont été conçues. Par le chancelier Michel de l'Hospital. Ou dans le Mémoire d'Etienne Pasquier, autre ami de Montaigne, qui explique avec une bonne grâce charmante qu'aussi était-ce une chose inconnue à tous nos ancêtres chrétiens de punir un de leurs frères à mort, encore qu'il fourvoyât en quelque article de notre foi. " Il vaut donc mieux " permettre en votre République deux églises, en tenant compte de la volonté du Seigneur, qui ne veut que l'on procède par sac ou mortelle fureur ", plutôt que de risquer " d'exposer à la mangerie et discrétion d'une gendarmerie affamée ", sans compter le danger de " mettre la force du royaume entre les mains d'un capitaine en ce bas âge du roi ". Sceptique sur une réforme interne de l'église, qui ne pourrait se faire " sans tollir aux prélats les biens auxquels ils sont affriandés et pour lesquels combattent plus que pour la foi ", il ne croit pas comme La Boétie aux vertus de l'intimidation, mais prévoit (la suite des évènements lui donnera raison) que les protestants feront comme le chat furieux qui, acculé, se jette toutes griffes dehors contre ses tourmenteurs, puisque déjà auparavant " la mort de l'un a esté le renouvellement de vie à cent autres ". Entre les deux mémoires, il y a aussi une différence dans la place imaginaire que s'assigne l'auteur : celle du " petit citoyen, révérant Dieu et le craignant, qui [se tient] clos et couvert dans [sa] famille " pour Pasquier, pour La Boétie, une place centrale d'où il légifère, trie et réforme, une position proprement étatique au sens où, selon la définition de Max Weber, il " revendique le monopole de la violence physique légitime ".

Si l'on cherche à évaluer le possible du côté des comportements cette fois, on verra que si les actes de sauvagerie n'ont pas manqué des deux côtés, la période offre aussi des exemples de coexistence qui obligent à tempérer la croyance pseudo-historique en la barbarie de nos ancêtres. Comme à La Rochelle, où les catholiques et les protestants se partageaient les églises, à charge pour les seconds de payer la chandelle, ce sont ils s'acquittèrent fidèlement. Qui peut reconstruire l'évènement et jurer que la paix religieuse n'avait pas ses chances ? Montaigne sera plus nuancé dans ses pronostics, en commentant à la fin du chapitre IX du livre II les accords de 1576 et 1577 : " Lâcher la bride aux pars [parties] d'entretenir leur opinion ", c'est courir le risque " d'épandre et semer la division ". " Mais d'autre côté, c'est les amollir et relâcher par la facilité et par l'aisance, et […] c'est émousser l'eguillon qui s'affine par la rareté, la nouvelleté et la difficulté. " Pasquier dénonçait " l'ambition particulière masquée du nom de Dieu […] comme ont fait plusieurs braves seigneurs, piper et brouiller les cartes, pour se rendre maîtres du tapis. " La seule certitude est que, l'édit de janvier une fois enregistré de mauvaise grâce et après trois jussions royales par le parlement de Paris, les intrigues des princes (les Guise d'un côté, et, oscillant, Condé et le roi de Navarre) aidèrent à soulever le couvercle de cette marmite infernale, dont s'échappèrent les monstres qui hantent les Essais.

Mais si ces " effets très dommageables " ont nourri en Montaigne la " haine de la nouvelleté ", il se gardera d'adhérer au bréviaire de nettoyage, de guérison et de santé qui semble avoir séduit l'auteur du Mémoire : comme le remarque Jean-Yves Pouilloux, Montaigne est pour cela trop conscient de la discontinuité du privé au politique, qui fait qu'une bonne conduite peut produire un mauvais gouvernement, et réciproquement. Mais ce magistrat qui refusa de cosigner aucune condamnation à mort appliqua tout son discernement à maintenir le " primum non nocere ", là où son brillant frère aîné a fini par s'inscrire dans la lignée des chantres de la raison d'état, étrillés par Joseph Ferrari dans sa revigorante Histoire.

Pourquoi ce revirement ? Comment la boule de feu du Contr'un s'est-elle figée en la froide lumière de cet astre éteint ? Il nous manque trop de jalons pour reconstituer l'itinéraire, même en ayant rappelé que le Contr'un est, à la façon du Prince, d'abord une description, une anatomie des engrenages politiques, dont les conclusions - révolte ou soumission - restent affaire de morale. L'opportunisme politique ? C'est une supposition gratuite, d'autant qu'il y aurait là un mauvais calcul, puisque Michel de l'Hospital, qui s'était dessiné comme un protecteur potentiel, plaidait alors pour l'ouverture et se retira après Vassy dans une semi-disgrâce. Tout au plus cette mélancolie dont témoigne son vœu de vivre ailleurs, à Venise ou au Nouveau Monde, vœu sur lequel Pierre Clastres a construit une lecture " primitiviste " du Contr'un, séduisante mais spécieuse, car, pas plus que Rousseau, La Boétie n'y projette sa généalogie du politique dans un déroulement historique effectif. Mélancolie aussi de son chant du cygne transcrit par Montaigne qui le trouve, à son lit de mort, " de tout détaché des affaires publiques " : " Et puis, il est vraisemblable que j'ai vécu jusqu'à cette heure avec plus de simplicité et moins de malice que je n'eusse d'aventure fait, si Dieu m'eût laissé vivre jusqu'à ce que le soin de m'enrichir et accommoder mes affaires me fût entré dans la tête. "

La Boétie ne put connaître ni le sanglant remède de la Saint-Barthélémy (1572), ni le régime de coexistence instauré par l'édit de Nantes, beaucoup plus égalitaire encore que l'édit de janvier. Entre cet édit de janvier et ce jour d'août 1563 où la fièvre le prit au jeu de paume, " jouant en pourpoint sous une robe de soie ", il participa encore à plusieurs de ces missions de pacifications avec corps de troupe et lit de justice, dont le Mémoire attendait le prompt retour du peuple à la révérence, et il y put sans doute éprouver la résistance des mouvements politiques et spirituels aux plans d'assainissement sur papier, mais nous demeurons dans son silence final.

Annie Prassoloff