Y a-t-il une censure musicale ?
Colloque de Bourges - Février 1994

Résumé

Avec Napoléon, nous répondrons oui (" Laissez-moi faire les chansons du peuple, et je me soucie peu de qui fera les lois "). Mais c'est un secteur un peu négligé des historiens et des philosophes de la musique, mis à part Adorno, ou J.Attali qui tomberait plutôt dans l'excès inverse, ceci à la différence de l'image, créditée peut-être à tort d'un impact immédiat. Et un secteur méconnu des musiciens eux-mêmes, qui, d'après un rapide sondage, se montrent plus sensibles soit à l'autocensure, soit à une censure esthétique, soit aux pressions économiques. Cependant, le catalogue de l'exposition de Berkeley " Censorship and Music " (décembre 1986) comptait plus de cent entrées, Ancien Régime compris.

Une rapide revue de la législation : le Code Pénal de 1810 est le seul à désigner nommément les " chansons ", mais les compositions musicales peuvent trouver leur place dans les " imprimés divers " de la loi de 1881, dans l'article 284 du Code Pénal (" Quiconque fait entendre publiquement des chants, cris ou discours contraires aux bonnes mœurs "), ou dans les " reproductions phonographiques " de l'article 283, ainsi que dans la législation des spectacles.

Le cadre ne permettant guère un historique détaillé, nous essaierons de rechercher plutôt les caractères structurels de la musique, qui permettent à la fois, comme le faisaient déjà les avocats aux procès de Beranger en 1823 et 1825 d'ignorer ou de surévaluer ses potentialités subversives.

La vigilance des Eglises qui persiste dans nos sociétés fournit à cet égard des archives vivantes. Suivant l'étude de Michel Poizat ( La voix du diable, 1991), nous verrons qu'elle se porte bien sûr vers les paroles, mais aussi vers le type d'alliance noué entre les paroles et la musique, et à des éléments proprement musicaux (choix des instruments, rythmes, etc.). A partir de là, en revenant à la censure laïque, nous essaierons de préciser s'il y a en musique des " censorèmes ", des éléments redoutables pour les pouvoirs et les institutions, ou plutôt une réversibilité, un arbitraire des signes censurables en raison du double caractère sémiotique de la musique : d'une part, son pouvoir métonymique (transfert des paroles à l'air, utilisation parodique au sens large, détournement, jusqu'à la paranoïa des "subliminal messages" aux USA dans les années 60), d'autre part son caractère flou de signe " sans plan articulé du signifié " (Françoise Escal). Caractères auxquels il faut ajouter son pouvoir de rassemblement qui inquiète particulièrement la législation des spectacles.

Enfin, aux frontières des censures politico-morale et esthétique, nous aimerions interroger deux tendances très marquées en France : la séparation de la musique sérieuse et de la musique légère, et le refoulement du musical dans la langue, en nous demandant s'il n'y a pas là une des formes les plus tenaces de limitation nationale à la liberté de production et de consommation musicales.