La Chartreuse de Parme, un opéra virtuel ?

 

" La musique est incapable de parler vite : elle peut peindre les nuances de la passion les plus fugitives, des nuances qui échapperaient à la plume des plus grands écrivains ; on peut même dire que son empire commence où finit celui de la parole. "
Vie de Rossini, chapitre XX

 

Prélude en forme de petite énigme d'histoire culturelle. Comment la Sensverina peut-elle connaître, et citer en exemple à Fabrice, le Polyeucte (Poliuto) de Donizetti, mis en répétition à l'Académie Royale de Paris en janvier 1840 et représenté pour la première fois le 10 avril 1840 1, soit un an après la naissance éditoriale de notre duchesse de papier, chez Ambroise Dupont, le 6 avril 1839 ?

" Je suis convaincue que si un empereur Decius revenait au monde, il [ l'archevêque Landriani ] subirait le martyre comme le Polyeucte de l'opéra qu'on nous donnait la semaine passée."2

Comme souvent en cette matière, la solution se trouve non pas dans la divine intuition de l'héroïne, mais aux tomes III et VI du monument biographique du belge Fétis, aux articles Donizetti et Nourrit 3.

" Ce fut à la même époque [1836-1838] qu'il composa pour Adolphe Nourrit (voyez ce nom) la partition de Poliuto, ouvrage sérieux dont le chanteur avait indiqué le sujet, d'après le Polyeucte de Corneille. La censure napolitaine n'ayant pas autorisé la représentation de cet opéra, auquel le compositeur attachait plus d'importance qu'il n'avait l'habitude d'en accorder à ses productions, il en éprouva une vive contrariété qui lui fit prendre la résolution de quitter Naples pour se rendre à Paris. Il y arriva dans les premiers jours de 1840. "

A Paris (nous résumons), le théâtre de l'Académie Royale de Musique commande à Donizetti, déjà muni de La Favorite et de La Fille du Régiment (autre histoire de vivandière), une adaptation en français du Poliuto indésirable à Naples, avec un livret du prince de la confection lyrique, Scribe, et un nouveau titre, chateaubrillanté, Les Martyrs. C'est donc le grand ténor Adolphe Nourrit, la vainqueur de " l'aboiement français " par la douceur " latine " apprise à l'école de Manuel Garcia 4, qui devait créer le rôle au théâtre San Carlo de Naples, rôle taillé sur mesure et par ses soins. Songeons au passage que c'est un ténor fameux que Fabrice, prêchant " aux chandelles " près de l'opéra fictif de Parme prive de tous ses spectateurs… sauf Clélia, au chapitre XXVII du roman. Fétis attribue la censure de Poliuto au sujet religieux, c'est probable. S'y ajoutait vraisemblablement l'engagement libéral de Nourrit, connu pour sa participation aux journées de Juillet et son ardeur à chanter à la demande du public, selon l'usage honni des polices, mais bien vivant jusqu'au milieu du siècle, les hymnes révolutionnaires et bonapartistes en fin d'acte ou de spectacle. Cet enthousiaste dépressif, inquiet des fêlures de sa voix et de la concurrence à Paris du ténor Duprez tomba (ou se suicida ?) de la terrasse de l'impresario Barbeja qui le logeait, le 8 mars 1839. La " fausse " citation de la duchesse d'un spectacle interdit lui rend peut-être un hommage posthume : dans cette éventualité, elle serait une addition lors des corrections d'épreuves, du 6 février au 26 mars 1839, ce que nous n'avons pu vérifier pour les raisons que les stendhaliens connaissent. Elles est plus sûrement, et de toutes façons, une pierre dans le jardin des censeurs, ou même une malice active au service de Nourrit, Donizetti et la liberté de l'art, du critique lyrique averti que fut Stendhal, notamment entre 1824 et 1826 au Théâtre Italien de Paris. Le Moïse de Rossini étranglé un moment par la censure avait été imposé en Italie par des manifestations du public, telles que les pouvoirs avaient pu craindre un coût politique de l'interdiction plus élevé que celui des représentations (exemple à méditer, note de 1997).

A qui le fréquente par devoir et par plaisir, le Stendhal musicologue, mélomane et critique des Notes d'un dilettante, de la Vie de Rossini, et même, plagiat inclus, de la Vie de Haydn, de Mozart et Métastase paraît encore supérieur aux hommages qu'on lui a rendus : tant d'humilité sans esquives, de savoir assumant la sélection subjective, et même d'application didactique chez cet impatient… La Vie de Rossini contient un traité de l'ornementation postbaroque encore à exploiter et à réaliser acoustiquement (outre une sociologie et une esthétique de l'œuvre lyrique, à laquelle manque seulement, sauf quelques notations, le souci de la sténographie). En outre, Victor del Litto avait montré en 1942 5 que le fragment de pièce publié au tome III de l'édition du Divan était, au vu du manuscrit, un livret d'opéra abandonné, signé d'un ennième pseudonyme, Mario Malvolio, et destiné à une " cantatrice di contralto ", Violante Anfossi. Cantatrice réelle ou fictive ? V. del Litto n'avait pas alors la réponse, et nous ne l'avons pas trouvée à cette heure. Ce " dramma giocoso per musica " est écrit majoritairementen français, mais avec une version italienne en perspective (comme l'attestent certaines répliques déjà traduites par notre librettiste) à la façon dont Haendel, au dire des connaisseurs, écrivait stéréophoniquement pour cinq à six langues en même temps, ou Verdi, plus modestement, pour le français ou l'italien dans Don Carlos/Don Carlo.

Un siècle plus tard, entre 1927 et 1936, le compositeur Henri Sauguet répond à Mario Malvolio / Henri Beyle en taillant un opéra dans La Chartreuse avec la collaboration d'Armand Lunel pour le livret. Les dix tableaux de cette œuvre plutôt néo-classique (et, semble-t-il, bien accueillie à la création, sans marquer l'histoire de la musique) développent adroitement le caractère déjà opératique de la trame narrative, avec ses situations fortes, ses décors éloquents et dramatiquement actifs, la répartition prévisible des tessitures : Clélia, soprano, Gina, mezzo, Fabrice, ténor, Mosca, baryton, Fabio Conti, basse. Pas de princes, comme on voit. Les titres des tableaux choisis par Lunel et Sauguet confirment, s'il le fallait, cette aptitude lyrique. Premier tableau : sur la route de Milan. Second tableau : A la Scala de Milan. Troisième : Fête de nuit au palais Sanseverina. Quatrième : la Trattoria de Theodolinde. Cinquième : la cour de la prison de Parme. Sixième : la plate-forme de la citadelle. Huitième : l'atelier de Fabrice à Locarno. Neuvième : le jardin de Clélia. Dixième : le sermon aux lumières. Le conseil de Balzac a été entendu : la " préface " bonapartiste et la bataille de Waterloo se réduisent à une information " sotto voce " donnée par Gina à Clélia dans la voiture du premier tableau : " C'est un héros, gardez le secret "6. Le second tableau se joue en abîme dans la loge de la duchesse, dont les rideaux en fond de scène s'ouvrent, à mi-acte, sur un ballet meublant la scène fictive de la Scala, pendant que l'avant-scène reçoit le chœur des conspirateurs libéraux, chantant

" Dans notre belle Lombardie, où peut-on
Faire encore la nique à la prudence
A la Scala, a la Scala ! "

Comme en un bain révélateur s'impose dans cette partition le tour de main dramatique du biographe de Métastase, le critique averti des richesses et/ou des faiblesses en musique potentielle d'une situtation dramatique. La Chartreuse est-elle pour autant, à la façon de la Vie de Rossini pour Pierre Brunel " un texte-opéra, écrit par un homme qui eût rêvé d'être compositeur "7 ? Et Stendhal, remarquable psychologue, analyste, sociologue de la musique, ce musicien en fiction qu'ont salué Gilbert Durand, Jean-Pierre Richard, Francis Claudon et d'autres passeurs autorisés entre les deux arts7 ?
Plaiderait en ce sens le caractère foncièrement structural de ce roman, sous l'agilité linéaire de la narration, et malgré l'improvisation, les inconséquences et à-peu-près de la dictée. Le retour paradigmatique des lieux-thèmes, lacs, clochers, carrefours, prisons, décrits en langue thématique par Gilbert Durand ou Béatrice Didier, et mythico-psychanalytiques par Michaël Nerlich dans son Apollon et Dionysos 8, démontant la " participation " de La Chartreuse de Parme. Une note de Nietzsche remarquée par Vincent Vivès attribue à Stendhal l'inspiration de l'éternel retour, en raison de la théorie beyliste de la mémoire musicale, et de la forte charpente structurale de ses réalisations fictionnelles 9. Musicales aussi (non sans quelque flou méthaphorique) les alternances de tempi évoqués par Jean-Pierre Richard 10, ces accélérations brusques et ces temps de stase ou d'extase que Stendhal signale , ou mime rhétoriquement : il y a là une sérieuse nuance, et nous allons y revenir. Plus précisément musical aussi, nous le voulons bien, les passages du " parlando " ou récitatif à de quasi-arias des personnages préoccupés, arias largement exclamatifs, d'un vocabulaire souvent encore plus conventionnel ou codé que le récitatif préparatoire, comme l'est celui de l'aria d'opéra dominé par les exigences musicales. Le passage de l'un à l'autre est scandé de " Grand Dieu ", de " Oh " et de " Ah " directement importés des Dio, Oimé ou Cielo lyriques, et l'antichambre du discours indirect libre correspond à la ritournelle orchestrale, ou au recitar cantando intermédiaire.
Airs avec reprise, au besoin, que Stendhal n'a pas corrigée et peut-être sciemment comme le monologue de Clélia après la seconde rencontre " avec accompagnement de gendarmes " : " Oui, il faut en convenir, mon procédé est complet, c'est à la fois de la grossièreté et de l'ingratitude […] Oui, mon procédé est complet. Et combien un être comme lui a dû le sentir vivement ! "11

Mais pour l'essentiel, sauf le titre dont Serge Sérodes donne dans ce recueil la motivation sonore, le dernier roman achevé de Stendhal fait de la musique un usage fonctionnel, décoratif, allusif occasionnel, mais il n'est pas musical au sens, justement, nietzschéen, où la pertinence phonétique de l'énoncé, à petite ou grande échelle, en gouvernerait la dynamique et les contours. Et ceci est d'autant plus notable que l'interdit sur la vue imposé par Clélia pourrait (bien que tardivement, mais il est préparé) ménager une place royale à la musique, art de la contrebande, de l'interdit tourné, ressource des prisonniers et des emmurés, lien aérien de qui est par force séparé. Le titre L'Orange de Malte pour Armance a tenté un moment Stendhal " uniquement pour la beauté du son, pour la phonie dirait M. Ballanche "12. Ces recherches de Ballanche, Nodier dont Balzac fait sa nourriture13, ce courant de linguistique cratylienne si vivant dans l'Europe romantique auquel Saussure et surtout ses disciples et éditeurs s'arracheront avec la raideur des grandes ruptures pour proclamer l'arbitraire du signe, le mélomane praticant et réflexif que fut Stendhal avait toutes raisons d'y être sensible. Mais le mélophile est combattu en l'écrivain Stendhal par le " terroriste ", au sens instauré par Jean Paulhan dans Les Fleurs de Tarbes ou La Terreur dans les Lettres, en 1941 : " Il semble enfin, que l'on ne puisse être honnête littérateur, si l'on éprouve pour les lettres, du dégoût. "14. " Noblifieurs ", " emphatiques ", " châteaubrillantés ", tous ces jardiniers rhétoriques rappellent à la défiante oreille d'Henri Brulard son père et l'abbé Raillane, toujours prêts à " exagérer sans cesse les beautés de la nature (que ces belles âmes devaient bien peu sentir). "15 A lui s'applique aussi l'exception remarquée par Paulhan à la page 145 de son traité : " Le Terroriste, si prompt à proscrire les clichés, n'hésite cependant pas à les employer comme titres : et bien au contraire semble-t-il qu'ils deviennent à cette place aussi triomphants (et même agressifs) qu'ils étaient ailleurs honteux et détestables. " Pour qui soupçonne le travail stylistique, qui voit dans le mot choisi et corrigé un maquillage déguisant une pensée louche ou lâche, un " voile " selon le terme cher aux néoclassiques et aux censeurs, forte est la tentation de jeter le bébé avec l'eau du bain, et de sacrifier sur l'autel de la transparence les aptitudes naturelles et cultivées par la musique de son oreille verbale. Ces cahots d'une voiture mal suspendue sur les routes françaises que l'excellente oreille de Balzac entend dans la Chartreuse et qu'il attribue, avec un chaleureux paternalisme au " défaut de travail " de son aîné ne sont pas dûs, généralement, à de telles causes accidentelles. Songeons au souffle rhétorique, au sens napoléonien de la cadence que Beyle exerce dans la retentissante préface politique à l'Histoire de la peinture en Italie 16. Les annotations de l'exemplaire Chaper prouvent, s'il en était besoin, que Stendhal s'écoute en relisant : " Cela me semble bien dit, nombreux, à la Jean-Jacques ; le 15 novembre 1840, migraine ". Le 15 février 1841 : " Je trouve beaucoup de mots à changer pour la douceur ", c'est-à-dire, pour l'euphonie, ou " la phonie dirait M.Ballanche ". L'ascèse anti-rhétorique a ses rites, manies, exercices spirituels, règles d"hygiène. Eviter la relecture " afin de ne pas mentir " (dernière phrase de la Notice sur M.Beyle par lui-même, 1837). La vérité est une course, la rapidité la sert, rapidité d'écriture ou de dictée : Gérald Rannaud s'est utilement attardé sur cette " pratique d'écriture ", et on aimerait tant en savoir plus, quand on sait toutes les bizarreries que Salammbô doit au secrétaire de Flaubert !
Jean-Pierre Richard nomme Stendhal " maître de l'hiatus "17 : dans Le coffre et le revenant, il rivalise avec le saccadé mériméen, staccato, ou même spiccato, écorcheur. Les deux compères souffrirent sans doute des concours de sécheresse éducative et de virile froideur auxquels ils soumirent leur affection mutuelle, comme la laissent entendre les sons fêlés d'H.B., cette lettre d'amour posthume. Comme Lamiel se masque de vert de noix, la subtilité beylienne se châtie d'un vocabulaire minimaliste, de ces " mots blancs " (Michel Crouzet) ou degré zéro de l'écriture qui signifient le naturel, en sorte que " si quelque trait de Stendhal nous irrite à la longue, c'est " le ton naturel qu'il affecte ", dit Paul Valéry, et les procédés qui lui font accumuler dans une œuvre tous les symptômes les plus excessifs de la sincérité " (Les Fleurs de Tarbes, p.86).
En conséquence logique, mais pour nous, navrante, de ce parti pris, l'italianophone et librettiste Beyle professe l'indifférence d'usage pour le détail du livret, sa substance verbale, rythmes, accents et sonorités : " Il faut être littérateur français pour s'aviser de juger un opéra par le mérite des paroles " (Vie de Rossini, p.177 de l'édition Pierre Brunel de 1992, Gallimard Folio). On dira que j'attaque un pauvre libretto italien en vrai littérateur français. Ces messieurs attaquent les paroles d'un libretto ; voyez la grande colère du Miroir contre le cra-cra du Taddeo de l'Italiana in Algeri. Pour moi, je m'attaque aux situations fausses ; les paroles d'un libretto sont toujours fort bien à mes yeux, je ne les écoute pas. " (Ibid, note de la page 317). Cette profession de surdité est immédiatement démentie par l'exemplaire commentaire du quatuor tiré du Turc en Italie :

" Siete Turco, non vi credo
Cento donne intorno avete
Le comprate, le vendete
Quando spento è in voi l'ardor

Je n'ai pu résister à la tentation de copier ces quatre vers, parce que chaque phrase, chaque mot a une grâce nouvelle dans la délicieuse musique de Rossini… "

Suit un analyse à la fois limpide et professionnelle de la dialectique entre texte - musique et interprétation vocale et orchestrale - telle qu'on aimerait en lire plus souvent.

La crispation éthique et politique contre la rhétorique comme mystification, et automystification, freine l'expansion d'une sémiantique raffinée, qui se déploie dans Armance, Lucien Leuwen, La Chartreuse, bien sûr, avec tous ses systèmes de signaux para, pré et postverbaux, exaltés par les censures internes et externes : idiomes du geste (dont Stendhal analyse le refoulement dans les civilisations du Nord), " Obliques des mots couverts " (Michel Crouzet, Préface, pour l'édition Robert Laffont d'Armance, p.814), détails de costume éloquents, lumières, volets ouverts ou fermés, alphabets des façades, signets et trajets hermétiques dans les livres qui circulent, cryptogrammes sur tous supports, et jusqu'au langage des astres suivis par l'abbé Blanès, hommage rendu aux régions les plus lointaines de l'empire des signes… Tous ces dialectes particuliers font une critique en acte des croyances en la transparence du langage, en la suffisance de la parole bien nettoyée des buées du mensonge. Par de telles architectures du manque, obstacle, castration sous toute métaphore (impuissance d'Octove, décapitation de Julien, prisons générant une bienheureuse paralysie comme aux Iles Fortunées de l'Arioste et du Tasse), Stendhal se situe de fait plus dans l'axe Rousseau-Freud-Mallarmé, que dans l'obédience de Port-Royal, de Saussure-Bailly-Séchehaye, et des idéologues soporifiques auxquels les partages politiques de l'Empire lui firent trouver des vertus pour nous éteintes. Et qui sait si les années n'auraient pas amené le consul exténué à assouplir sa guerre contre les mots, comme l'on vit, symétriquement, Chateaubriand se plaire à la discipline d'un staccato à la Mérimée (mâtiné de Saint-Simon) dans la Vie de Rancé ?


Toutefois, la victoire du prédicateur Fabrice sur le ténor demeuré avec Clélia est aussi emblématique par rapport à un autre " non-romantisme " de Stendhal : son rejet de la figure de l'homme de lettres professionnel, de l'artisterie cultivée et assumée par ses cadets. Intellectuellement et pratiquement, le théoricien du travail intellectuel du Nouveau complot contre les industriels 18 s'est détourné de la voie revendicative adoptée par des personnalités aussi diverses que Vigny, Nerval, Hugo, Dumas, Balzac, à travers la fondation en 1838 de la Société des gens de lettres (dans les semaines où Stendhal termine La Chartreuse). Ses essais au théâtre pour donner à un personnage d'écrivain le rôle central d'une comédie, voire d'un drame, avec Letellier, application pratique des théories modernistes de Racine et Shakespeare ont tourné court, contenus, semble-t-il par le barrage de la hiérarchie à la fois sociale et rhétorique fortement démontré par Eric Auerbach 19. Cette hiérarchie tacite, mais d'autant plus efficace confine l'intellectuel et l'artiste à des rôles subalternes, ou comique (tel celui de Ferrante Palla) et marque ceux qu'elle exclut ; tout autant que ceux dont elle protège les positions de privilège. Il est vrai que La Chartreuse assume jusqu'au bout ce point de vue, si l'on veut, aristocratique, jusqu'à faire de la Fausta une figure de cantatrice non chantante, ou plutôt peu chantante (passé l'effet " d'angélique douceur " de sa voix), si on la compare aux figures de musiciens et musiciennes déployées dans Sarrasine ou Massimilla Doni.

Nous devons à la fidélité de Mérimée quelques notes de la voix d'Henri Beyle
" Il faut en tout se guider par la LO-GIQUE " disait-il en mettant un intervalle entre la première syllabe et le reste du mot. " 20

Le volontarisme, le scrupule, la tension articulatoire (ne pas bêler ?), une touchante application au contrôle d'un incontrôlable signifiant gouvernent aussi et endiguent (s'en plaindra-t-on ?) la voix de l'écrivain Stendhal.

 

Annie Prassoloff

 

 


NOTES

1. D'après Le Ménestrel de décembre 1839 - avril 1840, et l'édition de la partition chez Schonenberger.

2. Livre Premier, chapitre VII, p.441-442 dans la commode et précise édition " Bouquins " chez Robert Laffont, 1980.

3. Biographie universelle des musiciens, édition de 1862, tome 3ème, p.42 " Donizetti ", tome 6ème, p.337, " Adolphe Nourrit ".

4. Cf. Patrick Barbier, A l'opéra au temps de Rossini et de Balzac, Paris, 1800-1850, Hachette, 1987, p.176-179. Les articles de Stendhal sur le Théâtre Italien ont été remis en circulation sous leur titre posthume, Notes d'un dilettante par les éditions de la Table Ronde avec une préface et des notes de Jean-Baptiste Goureau, Paris, 1996.

5. Dans son article d'Ausonia, N°7, 1942, pages 47 à 52, " Il forestiere in Italia ou Stendhal librettiste ".

6. Partition éditée par les soins de l'auteur, je remercie Michel Faure de m'avoir signalé sa présence au département Musique de la Bibliothèque Nationale.

7. Préface à l'édition Gallimard Folio de la Vie de Rossini, 1992, p.16.

8. A. et D. , ou la science incertaine de signes, Marburg, 1989, et son article de Romantisme, Colloque de 1996, " Sur la partition de La Chartreuse de Parme, où l'épisode de la Fausta n'est pas détachable " (p.83 à 96).

9. Travail en cours, dont Vincent Vivès a bien voulu me faire part.

10. Littérature et sensation, Stendhal, Flaubert, le Seuil-Points, 1960, p.69.

11. Chapitre XV, édition R. Laffont, p.522.

12. Passage tiré des O.C. , tome XI, p.415, cité par Serge Sérodes dans ses Remarques sur un titre, p. …, note 16.

13. Question que nous avons essayé de reprendre dans un article des Colloques " Romantisme " de 1993, " Cris, chuchotements, cloches et tric-trac, du son balzacien " à propos du Lys dans la Vallée, p.77 à 85.

14. Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres, Gallimard, Folio Essais, 1990, p.31.

15. Vie de Henri Brulard, cité par Dominique Fernandez, Le Musée idéal de Stendhal, Stock, 1995, où l'on apprend que l'Hérodiade de Vinci est en réalité de Luini.

16. Saluons sa récente réédition, illustrée et bon marché dans la collection Folio Essais en 1995.

17. Op. cit. , p.40

18. A l'instigation de Pierre Barbéris et de Geneviève Mouillaud, nous avions essayé ces thèmes dans la présentation D'un nouveau complot contre les industriels édité en 1972 dans la Nouvelle Bibliothèque Romantique chez Flammarion. (1972).

19. Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. Fçse, Gallimard NRF, 1968.

20. Editions Mille et une Nuits, 1996, p.9.